Entre le Burundi et l’Arabie saoudite, des travailleuses victimes d’un trafic d’êtres humains

Entre le Burundi et l’Arabie saoudite, des travailleuses victimes d’un trafic d’êtres humains

Enquête · En quelques années, au moins 17 000 Burundais ont officiellement pris la route de Riyad à la recherche d’une vie meilleure. Alors que le Burundi et l’Arabie saoudite ont signé en 2021 un accord censé encadrer cette émigration, un véritable trafic de travailleuses, souvent privées de tous leurs droits sur place, s’est organisé, pour le bénéfice d’intermédiaires peu scrupuleux et avec la bienveillance de l’État burundais et de quelques-uns de ses apparatchiks.

Février 2025, Cibitoke, au nord-ouest du Burundi. C’est dans cette ville de province aux rues de terre ocre, détrempées par de nombreuses pluies, que Gabriel Nzosaba* a pris le temps de raconter l’histoire de sa sœur. Saidata* avait rejoint un an plus tôt l’Arabie saoudite, où l’attendait un emploi de domestique. Elle n’a plus jamais revu Cibitoke. Quatre mois après son arrivée, elle est décédée dans des circonstances non encore élucidées. Elle avait 24 ans. Son frère affirme qu’elle communiquait régulièrement avec sa famille à travers différentes messageries privées. En février 2024, en arrivant sur place, elle a envoyé un message en kirundi : « Mie huyu » (« Je suis ici »). Selon son frère, les échanges se sont brutalement interrompus après le 8 juin 2024.

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Fuir ou rester ? Le dilemme cornélien des journalistes de l’Est de la RDC

Fuir ou rester ? Le dilemme cornélien des journalistes de l’Est de la RDC

Alors que les combats se poursuivent dans l’Est de la République Démocratique du Congo, les journalistes, eux aussi, se retrouvent pris en étau entre menaces des groupes armés et pressions étatiques. Face à ce climat d’insécurité, des dizaines de reporters ont fui, souvent sans ressources, tandis que ceux restés sur place doivent choisir entre l’autocensure et le silence.

Par Ukweli Coalition Media Hub

Lors de l’évènement le 5 mai dernier, chez Baraza Media Lab.

Dans la salle bien éclairée et aux fauteuils colorés du Baraza Media Lab de Nairobi, un silence pesant s’est installé. La tension n’a été brisée que par les accords d’une guitare, jouée par l’artiste congolais Freed Mashagalusa. Une entrée en matière artistique pour aborder un sujet grave : l’exil forcé des journalistes venus de l’Est de la RDC.

Ce 5 mai, deux jours après la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse, journalistes,  partenaires des médias, défenseurs des droits humains, se sont réunis à Nairobi lors d’une soirée organisée par Ukweli Coalition Media Hub en partenariat avec l’International Press Association of East Africa, pour alerter sur la  situation  de la liberté de la presse dans l’Est de la RDC qui s’est fortement dégradée depuis le début de l’année, à mesure que les combats entre l’armée congolaise et les rebelles du M23 s’intensifient et que les rebelles occupaient des zones.

Gorette ( nom d’emprunt pour des raisons de securité), journaliste spécialisée dans les droits humains et les violences faites aux femmes, fait partie de ces professionnels contraints de fuir. Basée à Bukavu, elle raconte avoir reçu des menaces explicites après la publication de plusieurs reportages donnant la parole à des survivantes de violences. « On m’a dit clairement que j’étais sur une liste. J’ai quitté la ville la veille de l’entrée des rebelles », confie-t-elle. Aujourd’hui réfugiée à Nairobi avec certains de ses enfants, elle tente de reconstruire sa vie, sans emploi stable ni perspective claire.

Selon Reporters sans frontières (RSF), plus de 90 journalistes ont été contraints de fuir l’Est du pays entre janvier 2024 et février 2025. Certains se sont réfugiés à Kinshasa, d’autres comme Jean (aussi un nom d’emprunt), un jeune reporter de Goma, ont trouvé refuge à l’étranger. « Je suis parti avec un sac à dos, sans rien dire à personne, pour ne pas éveiller les soupçons », raconte-t-il. “Son tort” est de collaborer avec un media qui a travaillé sur un sujet dénonçant des exécutions sommaires à Goma par les rebelles.

Le danger ne vient pas seulement des groupes armés. Le 9 janvier 2025, le ministre congolais de la Justice, Constant Mutamba, a annoncé que relayer les messages du M23 ou de l’armée rwandaise pourrait entraîner la peine de mort. Deux jours plus tard, son collègue à la Communication, Patrick Muyaya, a précisé que cette menace visait non seulement les journalistes, mais aussi toute personne susceptible de relayer des « messages de l’ennemi ».

Dans ce climat de peur, les journalistes encore actifs sur le terrain adoptent une stratégie d’autocensure. « On évite les sujets sensibles. On fait plus de la communication que du journalisme », témoigne un reporter basé à Goma, joint sous anonymat. Il ajoute que les pressions sont telles qu’il envisage de changer de métier.

D’après les chiffres de RSF, 52 atteintes à la liberté de la presse ont été recensées en RDC entre janvier 2024 et janvier 2025. Le tiers de ces violations concerne la seule province du Nord-Kivu. En parallèle, au moins 26 radios communautaires ont été fermées ou pillées depuis janvier 2024, dont une dizaine ciblées directement par le M23.

Pour ceux qui ont fui, l’exil est loin d’être une solution durable. À Nairobi, Gorette survit grâce à une aide temporaire d’une organisation de défense des journalistes. Mais cette assistance, limitée à quelques mois, ne couvre ni les besoins de ses enfants restés au pays ni l’éducation de son plus jeune fils. « Je ne peux même pas lui offrir des jouets », dit-elle, la voix serrée.

Jean, lui aussi, vit dans l’angoisse et la frustration. « J’ai honte. J’avais une vie, un travail, une famille. Aujourd’hui je suis dépendant de l’aide humanitaire. » Le journaliste explique que l’appui qu’il reçoit ne couvre que ses besoins de base et qu’il n’a aucun moyen d’envoyer de l’argent à ses proches restés à Goma, où la situation humanitaire continue de se dégrader.

La barrière linguistique complique également leur intégration. Francophones dans un pays majoritairement anglophone, plusieurs journalistes exilés disent se sentir isolés, sans possibilité de poursuivre leur travail.

La RDC a perdu 10 places dans le classement mondial de la liberté de la presse, passant de la 123e position en 2024 à la 133e en 2025. Que ce soit Gorette ou Jean, tous deux espèrent une amélioration de la situation des journalistes dans leur pays d’origine. Les autorités de Kinshasa semblent afficher un message plus optimiste. Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC) a récemment affirmé qu’« aucun journaliste n’a été tué ou arrêté » depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi.

Pour Ukweli Coalition Media Hub et l’International Press Association Press of East Africa, AEastAfrica, la Journée  était un moment pour porter loin l’appel à la solidarité pour les journalistes congolais. « Nous sommes aux côtés de ces femmes et hommes de médias, souvent oubliés, mais qui continuent de défendre l’information libre au péril de leur vie », affirme Armel-Gilbert Bukeyeneza, Fondateur et coordinateur de la coalition.

Des outils, des pratiques, pour plus de journalisme de fond en Afrique des Grands Lacs

Des outils, des pratiques, pour plus de journalisme de fond en Afrique des Grands Lacs

“Le data journalism n’est pas que le traitement d’énormes volumes de données. Se réveiller chaque matin, faire le tour de la ville, lire et enregistrer les noms des contractants de toutes ces grandes constructions qui poussent au quotidien dans vos villes, c’est du journalisme de données. Combinée avec d’autres outils, la démarche peut parfois vous mener à d’intéressantes révélations que personne n’aurait imaginées. On n’a pas besoin d’être statisticien pour faire le journalisme de données”: Ceci était peut-être l’une des grandes leçons du workshop tenu à Nairobi en août dernier par Ukweli Coalition Media Hub avec Africa Uncensored sur les outils et pratiques en journalisme de fond. Une “vérité” partagée par Purity Mukami, journaliste kényane spécialisée dans “le data”, aujourd’hui travaillant pour le réseau mondial contre les crimes organisés et la corruption (Organized Crimes and Corruption Reporting Project, OCCRP).

Le workshop — centré sur un journalisme qui creuse, parfois révèle (à l’instar du OSINT, et des données bien-sûr), pour couvrir des sujets capables d’impacter la société — a vu la participation d’une dizaine de journalistes de l’Afrique des Grands Lacs, une des régions meurtries par des conflits politico-armés interminables, souvent (si pas toujours) liés à des conditions socio-économiques précaires.

Une semaine assez enrichissante en compagnie des formateurs aux profils aussi différents que complémentaires: John Allan Namu a la tête d’Africa Uncensored (média kenyan spécialisé dans l’investigation), Maxime Domegni (éditeur Afrique francophone du réseau mondial pour le journalisme d’investigation), Purity Mukami de l’OCCRP et Armel Gilbert Bukeyeneza, journaliste-auteur à la tête d’Ukweli Coalition Media Hub (centre média qui promeut le journalisme de fond en Afrique des Grands Lacs).

“Le workshop a ravivé notre passion pour l’investigation, ”s’est réjoui un des participants, avant qu’une autre ajoute : “J’ai personnellement aimé la confraternité des journalistes de Nairobi, le caractère social des formateurs. J’ai renforcé mon carnet d’adresse. C’est ma première fois d’arriver à Nairobi grâce à cette opportunité. Je vous promets que je vais produire un travail de qualité pour vous prouver que vous n’avez pas semé dans le désert. La formation était au-delà de mes attentes”.

Ms. Purity Mukami lors de l’atelier destiné aux journalistes de la région des Grands Lacs.

Ce workshop a en effet permis aux participants de repartir plus motivés, mieux équipés, et prêts à relever les défis du journalisme d’investigation en Afrique des Grands Lacs, une région où le besoin de contenus approfondis se fait de plus en plus sentir.